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« Mes créations sont hors-la-loi » (2) – Pourvu que ça dure

DroitAuteurFranceEuropeMonde

Bonjour, ça peut plus durer*.

Le code de la propriété intellectuelle dispose que :

sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source, on ne peut interdire “les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées”.

Mais la jurisprudence française limite ce droit de citation au texte à l’exclusion de tout autre contenu (alors que la loi ne précise pourtant aucun support). Ainsi, sans autorisation des ayants-droit, utiliser :

  • des extraits de musique
  • des extraits de films
  • des extraits de vidéos
  • même une photo ou une peinture
  • la plupart du temps, c’est illégal.

C’est particulièrement pénible pour les vidéastes culturels, qui doivent régulièrement faire face à des claims ou revendication de droits d’auteur sur tout ou partie de leurs vidéos. Celles-ci sont alors privées de son ou carrément bloquées et démonétisées, voire supprimées. Le plus souvent les networks (Expand, Wizdeo, etc…) arrangent la situation, mais ça peut prendre du temps. Au bout de trois strikes ou avertissements (pour pornographie, incitation à la haine… ou atteinte aux droit d’auteur), le compte peut être supprimé purement et simplement. Si le droit de citation pour les oeuvres littéraires était étendu aux oeuvres de l’audiovisuel, combien les choses seraient plus simples! Résumé de l’épisode précédent :

Comme le précise cette vidéo, heureusement est arrivée **… Julia Reda, du parti pirate! Au début de l’année 2015, en vue de revoir la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins de 2001, l’eurodéputée a été nommée responsable du rapport d’évaluation de l’ancienne directive, et chargée de formuler des préconisations pour la prochaine réforme du droit d’auteur en Europe. Pour mémoire, en 2001, ni Facebook ni Twitter, ni l’iPhone, ni Youtube n’existaient encore, et Wikipedia se lançait tout juste. 2001-2015 : si on rate le coche ce coup-ci, rendez-vous dans 15 ans pour une nouvelle directive, 20 ans pour son application par les Etats membres (la loi DADVSI, transposition de la directive de 2001 en France, date de 2006).

Le rapport Reda recèle de nombreux points positifs visant à favoriser les échanges culturels transfrontaliers au sein de l’UE, parmi lesquels :

Tout cela paraissait parfaitement mesuré et équilibré, en prenant en compte à la fois les droits des auteurs et ceux des lecteurs/auditeurs/spectateurs, le tout dans un contexte numérique visiblement familier à l’auteure du rapport, ce qui nous changeait des croûtons de 2001 et de Hadopi en 2009. Il y avait véritablement matière à soutenir le travail de Mme Reda : même la Quadrature du net était enthousiaste, ce qui n’est pas rien.

Julia Reda

Pourtant, dès sa présentation en janvier, le rapport a déchaîné une offensive massive des partisans d’un droit d’auteur extensif. D’amendements en amendements, le rapport a été vidé de sa substance par l’eurodéputé Jean-Marie Cavada avec derrière lui les industries du divertissement (groupes TV, groupes médias, sociétés de jeux vidéo, majors du disque…) et les sociétés de gestion collectives (Sacem et Cie), soutenues par le gouvernement français qui a ici une lourde responsabilité. C’est finalement un anti-rapport Reda qui a été adopté par la Commission JURI en avril, puis par le Parlement Européen en juillet, comme s’en est félicitée la SACD :

Le Parlement européen a supprimé des dispositions inquiétantes pour l’avenir du droit d’auteur parmi lesquelles figuraient notamment : la généralisation des exceptions au droit d’auteur sans rémunération pour les auteurs ; la mise en place en Europe d’un fair use en vigueur aux États-Unis qui limite considérablement les droits des auteurs ; ou encore l’extension à l’audiovisuel de l’exception de citation.

Dans la mesure où la Commission européenne est encore plus conservatrice que le Parlement (cf ACTA, la Neutralité du Net…), il n’y a plus rien à attendre de l’Union Européenne : on a raté le coche, on maintient le statut quo, merci M. Cavada. Rendez-vous en 2035.

Alors que les Youtubers se sont mobilisés quand il était encore temps, bien qu’ils n’aient pas été entendus, voila que les auteurs de livres se réveillent après la bataille, avec une pétition contre le rapport Reda lancée le 22 octobre 2015. Que les 2000 signataires se rassurent et sachent que le mois de juillet est passé, qu’ils avaient déjà gagné avant même de signer : statut quo assuré.

S’il existe des freins à la diffusion, ils sont économiques, technologiques, fiscaux, et c’est bien plutôt aux monopoles, aux formats propriétaires, à la fraude fiscale, qu’il faut s’attaquer !

explique la lettre, et je suis absolument d’accord. Mais les auteurs de livres doivent comprendre qu’ils ne sont pas les seuls créateurs d’œuvres de l’esprit : ils acceptent très bien le droit de citation tel qu’il est mais ne sont absolument pas concernés par un hypothétique droit de citation audiovisuel, ni par les remix, ni par les photos de panorama, etc. Ont-ils seulement lu le rapport Reda?

Jean-Marie Cavada, le grand ennemi du rapport Reda d’origine. Avec lui j’ai intérêt à utiliser une photo libre de droits (photo Wiki Commons)

Si les directives européennes sont la base du minimum commun partagé par les Etats membres, ceux-ci conservent une importante marge de manœuvre. Ainsi, si l’exception pour la citation audiovisuelle n’est pas imposée par l’UE, elle pourrait tout à fait être autorisée par un ou plusieurs Etats en fonction de leur législation propre. Or il se trouve que le secrétariat d’Etat au numérique a initié une consultation publique de trois semaines, qui vient justement de s’achever. L’objectif : une coproduction de la Loi pour une République numérique, dont le Parlement Français (AN+Sénat) devrait commencer à débattre en début d’année prochaine, en 2016.

Peut-être avez-vous vu passer cette image sur les réseaux sociaux?

L’ABF a communiqué des consignes de votes, notamment sur les contributions de la Quadrature du Net et de Savoir Com1. Ce dernier a proposé un article sur la création d’un droit de citation audiovisuelle :

A l’article L. 122-5 du Code de Propriété Intellectuelle, le a) du 3° est supprimé et remplacé par :
a) Les analyses et citations concernant une oeuvre protégée au sens des articles L.112-1 et L. 112-2 du présent Code, justifiées par le caractère critique,polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées et effectuées dans la mesure justifiée par le but poursuivi.

Doté du guide de survie de l’ABF, l’accès à cette consultation devenait beaucoup plus aisé, même au non spécialiste que je suis. J’ai donc voté sur cet article, ainsi que sur un vingtaine d’autres.

Projet de loi pour une République numérique

J’ai aussi fait du prosélytisme sur les réseaux sociaux : « allez-y votez! On a la possibilité de le faire, on a le guide de l’ABF, c’est facile ». Résultat : 3197 personnes atteintes, 33 j’aime, 34 partages, 216 clics… et une seule personne a annoncé qu’elle avait voté, une seule! Un bide. Pour ceux qui n’ont pas voté, petit débat sur les tenants et les aboutissants de cette loi :

http://dai.ly/x3b2r4g

Comme le représentant de la quadrature du Net de ce débat, je ne me fait guère d’illusion, vu le passé : ACTA, Neutralité du Net, Hadopi, Loi sur le renseignement, Réforme de la directive sur le droit d’auteur, la France a toujours été à côté de la plaque, que le gouvernement soit de droite ou de gauche.

Les participants évoquent également un hypothétique traité international. C’est en effet la dernière chance de voir le droit de citation audiovisuel reconnu quelque part, ce qui ce répercuterait jusqu’à nous par effet de domino :

Justement, des négociations sont en cours depuis 2011 à l’OMPI (Office mondial de la propriété intellectuelle), pour un futur traité concernant les exceptions pour les bibliothèques, auxquelles participe directement l’IFLA (International Federation of Library Associations). Peut-être qu’un droit de citation audiovisuelle sera intégré? Il trop tôt pour le savoir. En outre, le temps que le droit issu de ce traité arrive au niveau national (1996 –> 2006 / 2015 –> 2025), on en a pour dix ans minimum. dix ans sans solution claire pour les vidéaste culturels, que ce soit sur Youtube ou sur toute autre plateforme vidéo. Et peut-être plus car, comme pour les directives européennes, le lobbies de l’industrie du divertissement se tiennent en embuscade.

En l’état actuel, il reste la solution contractuelle

Reste la solution contractuelle comme le Creator’s Program de Nintendo. Signer ce genre de convention avec combien d’ayants-droit pour avoir la paix? Combien d’ayants-droit incapables de répondre dans des délais raisonnables, alors que le géant japonais lui-même n’y arrive pas? Mais les auteurs européens du livre ont raison : surtout, ne changeons rien!

ou bien la solution du flou de Youtube qui n’a aucun intérêt à flinguer son modèle économique basé sur la diffusion de créations qui ne lui coûtent rien et lui rapportent beaucoup…

… avec le risque que cela comporte.

La plupart des vidéos de ce billet et de l’ensemble de ce blog sont illégales, puisqu’incluant des parties sous droit d’auteur. En partageant ces vidéos à mon tour, je rend mon blog illégal. Grace à M. Cavada, donc, mes créations étaient hors-la-loi et le resteront, tout comme celles des Youtubers culturels : la démocratie des crédules a de beaux jours devant elle. Pourvu que ça dure comme disait Jean-Yves Lafesse à la fin de ses sketchs.

Aller plus loin :

Le rapport Reda expliqué

Droit d’auteur : pourquoi les Youtubeurs devraient soutenir le rapport Reda

À lire sur Numerama : Droit d’auteur : les propositions du rapport de l’eurodéputée pirate Julia Reda

http://www.laquadrature.net/fr/reforme-du-droit-dauteur-le-parlement-europeen-doit-suivre-le-rapport-reda

À lire sur Numerama : "Mes créations sont hors-la-loi". Les YouTubers défendent le rapport Reda

http://www.laquadrature.net/fr/urgent-la-reforme-positive-du-droit-dauteur-se-fait-pirater-au-parlement-europeen

http://www.sacd.fr/Droit-d-auteur-le-Parlement-europeen-adopte-un-anti-rapport-Reda.4370.0.html

https://www.republique-numerique.fr/consultations/projet-de-loi-numerique/consultation/consultation/opinions/section-1-ouverture-des-donnees-publiques-1/creer-un-droit-de-citation-audiovisuelle

https://juliareda.eu/2015/07/un-lobby-etait-il-dans-lombre-pour-attaquer-la-liberte-de-panorama-la-verite-est-plus-inquietante/

https://www.republique-numerique.fr/consultations/projet-de-loi-numerique/consultation/consultation/opinions/section-1-ouverture-des-donnees-publiques-1/creer-un-droit-de-citation-audiovisuelle

https://www.actualitte.com/article/monde-edition/europe-ompi-et-exception-au-droit-d-auteur-les-liaisons-dangereuses/48761

http://www.iabd.fr/2011/11/15/communiqueles-limitations-et-exceptions-au-droit-dauteur-en-faveur-des-bibliotheques-et-des-archives/

Les bibliothèques, champ de bataille pour le renouveau de la propriété intellectuelle à l’OMPI

1 commentaire pour “« Mes créations sont hors-la-loi » (2) – Pourvu que ça dure”

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