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Fake news, Canards et algorithmes, l’ère de la post-vérité?

Pour la science n° 472 – Février 2017

Le dernier Pour la science s’est penché sur la question de la désinformation et des fake news sur les réseaux sociaux, avec une approche originale, non pas seulement sociologique, mais mathématique :

Les internautes diffusent massivement des informations fausses et des théories conspirationnistes farfelues. Des études statistiques portant sur les réseaux de Facebook apportent un éclairage quantitatif et inédit sur les mécanismes à l’œuvre dans cet inquiétant phénomène.
Pour la science n° 472 – Février 2017

Une équipe de chercheurs s’est donc penchée sur la diffusion de la désinformation en constituant trois corpus de sources dont les informations ont été diffusées durant une période électorale de six mois, en 2013, sur le Facebook italien :

  • Sources classiques : tous les journaux et agences qui couvrent l’information nationale italienne
  • Sources alternatives : celles qui s’autoproclament promotrices de tout ce que les médias considérés comme manipulés, cachent aux gens
  • Sources politiques : celles qui relèvent des mouvement et des groupes politiques qui utilisent Internet comme instrument de mobilisation politique.

Sources classiques vs sources alternatives

Après passage à la moulinette statistique (je vous renvoie à l’article complet pour les détails), les chercheurs italiens ont déduit ceci :

  • Le comportement des internautes est très similaire pour les trois types de sources, que ce soit en nombre d’action (likes, commentaires, etc) ou en durée de vie des posts (environ 24 heures). Chaque internaute est dans une bulle qui lui est propre du fait de la diffusion sélective de l’information par les algorithmes de Facebook, ce qui conduit à des biais de confirmation, dans chaque bulle. Ainsi, les internautes qui suivent habituellement les sources d’informations scientifiques ont peu de liens d’amitié (au sens de Facebook) avec ceux qui suivent des sources conspirationnistes, et vice-versa.
  • Quand deux types d’internautes aux sources différentes se rencontrent sur Facebook, la discussion via les commentaires dégénère systématiquement, ce qui renforce la polarisation des uns et des autres.
  • Les conspirationnistes sont les plus crédules et réagissent facilement à un troll par un j’aime, en prenant ce qui est dit au pied de la lettre, même quand c’est ouvertement humoristique : capacités de fact-checking quasi-nulle. Ceux qui sont les plus méfiants vis à vis des médias classiques sont donc aussi les plus enclins à se faire manipuler!
  • Tenter de convaincre un conspirationniste produit l’effet inverse de celui recherché : non seulement il se renforce dans sa croyance (exemple, les chemtrails), mais il va encore plus interagir avec les sources d’information de type théorie du complot.
  • Et peut-être l’information la plus inquiétante : sur le Facebook italien, les utilisateurs qui suivent les sources d’informations complotistes sont trois fois plus nombreux que ceux qui suivent les sources d’informations scientifiques. Une autre étude sur le Facebook US arrive à la même proportion.

Le compte rendu se termine d’une manière très pessimiste en concluant que dans ce contexte, il devient très difficile d’informer correctement et de stopper la propagation de nouvelles infondées ou fausses.

Des communautés hermétiques

Victor Chomel a fait un travail similaire mais sur Twitter. Il est l’auteur d’une thèse intitulée « Au-delà des Fake News : une approche structurelle et dynamique de la désinformation et des manipulations d’opinion en ligne« . Il a réalisé une cartographie de tous ceux qui parlent du climat en France. Chaque point est un utilisateur de Twitter (X). Quand un twittos en retweet un autre, les deux sont reliés par un trait. Plusieurs communautés ressortent alors :

  • Le GIEC
  • Les pro-climat
  • Le gouvernement
  • les médias
  • les techno-solutionnistes
  • les dénialistes
Cartographie climato-septique par Victor Chomel

Il explique sa carte sur Public Sénat :

Ce qui en ressort, c’est que les communautés s’organisent entre elles, mais communiquent très peu les unes avec les autres. Les dénialistes sont particulièrement à l’écart et ni le GIEC ni les médias ne peuvent les atteindre.

Fake news et Canards

Le Monde a publié un Petit lexique de la crise de l’information actuelle, avec de nouveaux termes qui ont tendance à en occulter de plus anciens :

  • Fait alternatif : contre-vérité grossière
  • Fake news : faux prenant l’apparence d’un site de presse
  • Hoax : canular viral
  • Intox : affirmation erronée volontairement présentée comme vraie
  • Post-vérité : théorie selon laquelle l’émotion et la croyance comptent désormais plus que les faits
  • Réinformation : défense et diffusion de thèses d’extrême droite

Pour autant, la défiance envers les médias n’a pas attendu Internet pour se développer. Les exemples sont nombreux à travers l’histoire, de Radio Paris Ment de la BBC, à Jacques Dutronc qui se moquait déjà des complotistes en 1966 avec son On Nous Cache Tout, On Nous Dit Rien :

Savez-vous que la Société internationale de la Terre plate (International Flat Earth Society) a été fondée en 1956, alors même que les premières photos prises de puis l’espace nous parvenaient? Les fake news ont en fait toujours existé. Auparavant, elles portaient un autre nom : Canard. Car avant de désigner les journaux en général, le mot désignait une fausse nouvelle. Cela remonte à avant la presse écrite. Munis d’une cloche, d’un tambour ou d’un porte-voix, les crieurs de rue colportaient les nouvelles oralement : certaines étaient vraies, d’autres l’étaient moins. (cf définitions du Larousse, du CNTRL, de Wiktionary). Le rapprochement argotique avec le volatile est venu des appeaux et des leurres en plâtre utilisés dans la chasse aux canards (France Inter, le mot de la semaine, 17-02-2017, 3 minutes).

Quoique ce métier existe encore dans de nombreux pays, les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête, font de chacun d’entre nous de nouveaux crieurs publics. Comme du temps des canards, les nouvelles sont parfois vraies, parfois moins, parfois complètement fausses. Si dans l’Antiquité, le Moyen-Age et parfois jusque qu’à la seconde guerre mondiale, la culture était essentiellement orale pour le grand public, aujourd’hui les réseaux sociaux ne sont plus la seule source d’informations existante pour les citoyens : tous les supports qui ont précédé internet restent actifs : presse écrite, radio, télévision.

Une incidence directe sur la société toute entière

Et pourtant, malgré les fake news, on découvre qu’une frange de plus en plus importante de la population se contente des réseaux sociaux comme source exclusive d’information. Après Charlie, on a pu penser que les seuls à se fier aveuglément aux réseaux sociaux et aux sources « alternatives », par défiance envers les sources « officielles », étaient certains lycéens. Deux élections sont venues montrer que le phénomène était en fait déjà beaucoup plus répandu : celle qui a conduit au Brexit au Royaume-Uni, et celle de M. Trump aux USA. Or dans les deux cas, les fakes news – ou canards – lancés par ceux qui ont finalement gagné ont tenu un rôle prépondérant.

Rappel n°1, dérives sectaires en ligne : quelques centaines de jeunes?


LEA par cpdsi

Rappel n°2, le Brexit : tout un peuple abusé?

Les Britanniques n’ont cherché à se renseigner hors de la presse de caniveau de Murdoch (gutter press) qu’une une fois les résultats connus. Parmi les recherches les plus fréquentes au lendemain du référendum, selon Google Trends : « Qu’est-ce que l’Union européenne ? », « Sommes-nous à l’intérieur ou en dehors de l’Union européenne ? », ou encore « Sommes-nous européens ? ». C’est avant de voter qu’ils auraient du se poser ces questions. Dans le même temps, le chef du UKIP admettait que l’un des arguments phares des pro-Brexit était faux : il n’y aura pas un kopek pour le système de santé. Enfin, dans les jours qui ont suivi, tous les pro-brexit ont fuit leurs responsabilités au lieu d’assumer les conséquences du vote.

[edit du 20 août 2017]

« Liar Liar », une chanson critiquant Theresa May, cartonne au Royaume-Uni

Le titre est entrecoupé de propos de Theresa May. On entend notamment la dirigeante assurer qu’elle n’appellera pas à des élections anticipées, une promesse sur laquelle est finalement revenue. La Première ministre est épinglée de la même façon sur d’autres sujets comme la pauvreté, le système de santé ou encore l’éducation. La chanson, qui fait l’objet d’une censure généralisée dans les médias mainstream du Royaume Uni (BBC en tête), fait un carton sur les réseaux sociaux (Youtube comptabilise près de 3 millions de vues)

A la veille du début des négociations sur le Brexit entre UK et UE, France Culture faisait un point sur les sentiments des pro et anti-brexit, un an après le scrutin fatidique :

Brexit un an après : un Royaume toujours uni ? ; Le Magazine de la rédaction – France Culture, 19.08.2017 (59 min)

[fin edit]

Rappel n°3, Donald Trump : le goût des électeurs pour les infos « alternatives »

Bien qu’il s’agisse d’un menteur et d‘un mythomane friand de médias « alternatifs », entouré d’autres menteurs, on ne peut pas reprocher à Trump de n’être pas resté fidèle à ses convictions une fois élu (et c’est peut-être le plus inquiétant), que ce soit sur le Mexique, la Russie, le protectionnisme, l’enseignement privé, le créationnisme, l’IVG ou le réchauffement climatique. Les white trash et autres rednecks peuvent être satisfaits.

Prochaine sur la liste : la France?

Suite à ces deux élections au résultat surprise, les médias traditionnels ont pris conscience de l’influence grandissante des « faits alternatifs » sur les réseaux sociaux, au point que France Culture s’est demandé « Pour qui les GAFA vont-ils nous faire voter » aux prochaines échéances (France Culture – La méthode scientifique, 16-12-2016, 59 min) :

Comment le Big Data peut potentiellement être réutilisé par les politiques ? Comment les réseaux sociaux ont-ils transformé notre rapport à la politique ? Les algorithmes vont-ils contre la démocratie ? Les géants du web peuvent-ils influencer nos votes ?

[…] Si vous avez une appétence pour les sciences, votre fil twitter vous propose certainement, naturellement, les tweets que nous postons quotidiennement. Parce que Twitter, comme Facebook, utilise désormais un algorithme pour sélectionner les informations qui vous correspondent le plus.

Eh bien politiquement, c’est la même chose. Chaque nouvelle élection le montre de façon flagrante, la dernière en date, l’élection américaine ayant poussé à un degré jamais atteint le ciblage électoral, ciblage qui a d’ailleurs fini par troubler les démocrates qui n’ont pas vu venir l’élection de Donald Tump, et pour cause : les informations le concernant ont tout simplement disparu de leurs différents fils d’actualité, du fait de ces mêmes algorithmes…

Poser des questions pour comprendre un phénomène est une première étape. Mais, concrètement, comment aider les internautes à discriminer sources « officielles » et sources « alternatives »?

Comment faire face?

L’article de Pour la science nous a montré qu’un conspirationniste était pratiquement irrécupérable, et que toute tentative de démystification était contre-productive.

Mais il reste à convaincre les indécis, ceux dont la biologie n’est pas la culture, qui tapent « évolution » et se retrouvent avec du créationnisme mélangé indistinctement à la théorie de Darwin dans les résultats de leur moteur de recherche ; plus généralement ceux qui voient passer du vrai, du moins vrai et du complètement faux dans tous les domaines sur leur page d’accueil Facebook – or personne ne peut être expert dans tous les domaines. Plusieurs solutions ont été proposées à différents niveaux… mais ce sera l’objet des prochains billets!

Lire tout le dossier :

  • Fake news, Canards et algorithmes, l’ère de la post-vérité?
  • Solution 1 : Que soufflent les vents d’un Internet civilisé
  • Solution 2 : Fake news vs fact-checking
  • Solution 3 : Extensions logicielles : Decodex et anti-decodex (à venir)
  • Solution 4 : Des algorithmes pour réduire la visibilité des fake news (à venir)
  • Solution 5 : L’éducation aux médias à l’ère de la post-vérité (à venir)

<MAJ du 02 juin 2017 : Canards et agit-prop>

La campagne présidentielle a donné lieu à une recrudescence de ce que les internautes appellent des fake news. Si nombre d’observateurs ont souligné, à raison, le rôle croissant de Facebook et de Twitter dans les campagnes électorales, ils ont peut-être surestimé le caractère inédit des informations fausses ou tronquées. Bien évidemment, la nouveauté réside dans le support technique, c’est-à-dire l’effet multiplicateur d’Internet et des réseaux sociaux. Quant au phénomène proprement dit de la production et de la diffusion de fausses nouvelles, d’informations mensongères visant à discréditer des leaders politiques, il est pour ainsi dire aussi vieux que la démocratie athénienne.

</maj>

<MAJ du 20 août 2017 : L’histoire vraie des fausses nouvelles>

Les « faits alternatifs » ne débutent pas avec Donald Trump et internet. Retour sur la longue histoire de la désinformation , avec le directeur des bibliothèque de Havard, Robert Darnton.

L’histoire vraie des fausses nouvelles ; Concordance des temps – France Culture, 19.08.2017 (59 min)

</maj>

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